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Compagnonnage auteur.e et metteur.e en scène

Carte blanche – La commande de texte et le compagnonnage entre metteur/e en scène et auteur/e dans la création théâtrale à destination de la jeunesse.

Organisée à l’initiative de la Région Hauts-de-France et de la Compagnie des Lucioles, et portée par le Collectif Jeune Public dans le cadre des Cartes Blanches de Scènes d’enfance – ASSITEJ France, la rencontre « Le compagnonnage entre auteur.e et metteur.e en scène » s’est déroulée le 18 juillet au Théâtre 11- Gilgamesh, en plein festival d’Avignon.  Quelles spécificités dans l’écriture pour le plateau ? Quelle place pour chacun dans le travail de création ? Quels enjeux de production ? En présence d’une cinquantaine de professionnel.le.s, deux équipes (Jérôme Wacquiez et Nathalie Papin pour la Cie des Lucioles // Marie Normand et Marylin Mattei pour la Cie Rêve Général ) et Émilie Charpentier (chargée du dispositif compagnonnage auteur de la DGCA)  sont venus partager leur expérience de la commande de texte, du travail mené ensemble, de la relation à (ré)inventer à chaque fois.

Une relation à construire en permanence

S’il paraît évident que le compagnonnage naît de la rencontre, sa forme, elle, est beaucoup moins évidente. Le champ des possibles est immense, grisant et vertigineux. Il peut d’ailleurs se penser à différents endroits : auteur.e/metteur.e en scène, auteur.e/compagnie, auteur.e/éditeur.trice, auteur.e/réseaux (on pense ici par exemple au 1er Juin des Écritures, dont Nathalie Papin était la marraine cette année, et qui constitue aussi un lien fort dans le temps).

Pour Jérôme Wacquiez (Cie des Lucioles), le choix de la commande de texte à Nathalie Papin est intervenu après avoir été en contact avec elle pendant plusieurs années. En 2016, il monte notamment un autre de ses textes Qui rira verra, déjà édité. L’évolution de leurs liens, l’inscription de cette relation dans le temps, la reconnaissance mutuelle ont permis la collaboration entre eux. « Pendant longtemps je n’ai pas répondu à des commandes, je ne voulais pas me dévier de ma source poétique. Et puis la source a pris de la puissance, j’ai pris du poids du point de vue de l’écriture.»

Pour Quand j’aurais mille et un an, l’écriture s’est faite en parallèle du temps de plateau, en allers/retours, chacun nourrissant le travail de l’autre. Au départ invitée à écrire pour la compagnie, c’est Nathalie Papin qui propose d’écrire autour du transhumanisme, à la suite d’une rencontre avec des enfants. Auteure, metteur en scène, interprètes, chacun se documente, se nourrit et nourrit les autres. « J’ai osé des choses dans l’écriture. Ça donne une liberté, une audace de penser que quelqu’un attend ça. »

A l’inverse, la rencontre entre Marie Normand (Compagnie Rêve Général) et Marilyn Mattei a été provoquée par les besoins du projet de la compagnie. « On ne se connaissait pas avec Marilyn. Je voulais travailler avec un(e) jeune auteur(e) non édité(e), je voulais une écriture très dynamique, très ciselée. Ce n’est pas forcément simple en France de trouver les auteur.e.s qui ne sont pas encore édité.e.s. J’ai fini par appeler l’ENSATT, qui propose un cursus d’écriture dramatique ».

Ainsi la première étape a été de partager les univers, de se découvrir, avant de se lancer dans cette collaboration, au cahier des charges très précis. Cela pose tout l’enjeu du cadre et de la liberté dans l’écriture textuelle face à l’écriture scénique, mais également la question de comment se rencontrer dès le départ, se rencontrer dans ce que l’on écrit ? Comment vivre cette expérience de compagnonnage ? Dans le processus d’écriture pour Les Préjugés, le calendrier était fixé dès le départ, dans des temporalités très différentes d’écriture et de travail au plateau. Mais c’est le temps d’une résidence d’écriture auprès d’un groupe d’adolescents – à qui se destine en premier lieu le spectacle – que les deux artistes ont pu se confronter à ces enjeux, se mettre en danger, être stimulées par les retours de leur public. «Je me suis rendue compte pendant cette résidence combien c’était précieux pour moi de rencontrer le public à qui le texte est destiné, de voir concrètement comment ça fonctionne, d’entendre le texte. Même si la part solitaire du travail d’écriture est nécessaire, à un moment donné on a besoin aussi que le texte que l’on écrit puisse prendre chair avant le travail de plateau ».

Un revers pernicieux

Évidemment, la notion de commande peut présenter ses propres dangers, l’enjeu principal étant de ne pas se laisser dévier dans son écriture. Accepter de se laisser emmener, de se laisser décaler – tant pour l’auteur.e que le/la metteur.en scène – sans perdre sa force poétique. Ne pas se laisser enfermer par la commande, les contraintes de production, de temps d’écriture. Se garder des espace d’écriture indépendante, pour que le texte puisse exister en dehors de cette commande. Mais également pour qu’il puisse continuer de nourrir l’écriture de plateau, la surprendre. Bouger les lignes du cadre initial. « Ce qui est important dans ma relation avec Marilyn, c’est qu’on est très d’accord sur le fond, et pas toujours sur la forme – au départ en tout cas. Cet endroit de frottement est très intéressant dans notre travail parce qu’il nous décale toutes les deux. C’est aussi pour ça que je ne suis pas allée vers des auteurs avec qui j’avais déjà travaillé, avec qui peut-être la compréhension était plus immédiate, mais où cet endroit de frottement n’existait pas.»

Et puis il y a cet écueil possible, dans le recours à la commande, qu’elle devienne une habitude, une mode ou un systématisme. Plus les auteurs écrivent à la commande, moins ils ont de temps pour écrire des textes indépendants. Bien sûr la commande est une double garantie. Économique d’une part, puisqu’elle assure à l’auteur.e une rémunération pour le temps de son travail. De concrétisation, aussi, puisque la commande garantit que l’œuvre rencontrera son public, qu’elle sera jouée. Cela pose donc la question du statut des auteurs, de leur rémunération et du système économique des écritures théâtrales. Mais aussi de la diffusion et de l’accès aux textes déjà écrits.

Des enjeux de production importants

Monter une production sans en connaître le texte est aussi un vrai défi, une véritable prise de risque pour les équipes artistiques comme pour les structures coproductrices. Plusieurs dispositifs favorisent la mise en place de ce type de projet. C’est le cas de l’aide au compagnonnage auteur* mis en place par la DGCA, et porté par Émilie Charpentier : « L’idée dans ce dispositif est d’avoir une commande de texte original, mais ce n’est pas seulement ce qu’on soutient. Tout l’intérêt est de voir les interactions entre l’auteur, sa pratique solitaire, et le plateau. Comment est-ce que cette collaboration apporte un regard extérieur tant sur le texte en train de s’écrire que sur le travail de répétitions » En moyenne 8 projets sont aidés chaque année par le Ministère via ce dispositif depuis 11 ans. A noter également qu’il n’y a pas, dans ce dispositif d’obligation de production, mais plutôt de restitution.

Compte-rendu réalisé par le Collectif Jeune Public Hauts-de-France. Crédits photo : Astrid Usai.

 

* il existe aussi un compagnonnage plateau en direction de jeunes metteurs en scène avec une compagnie conventionnée.

 

 

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